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Des Maux Sans Mots

Des Maux Sans Mots

July 15, 2020
Des Maux Sans Mots

Il est 19 heures passées de quelques minutes sur Niamey, capitale du Niger. Depuis quelques jours, à cette heure, les appels à la prière ont fait place aux bruits incessants des moteurs sur les grandes routes comme dans les ruelles. Les retardataires s’empressent de rentrer chez eux avant de croiser les forces de défense qui patrouillent. Depuis l’enregistrement du premier cas de Covid-19, les autorités ont pris des mesures draconiennes pour limiter la propagation de la pandémie. À Niamey, la région la plus touchée, les lieux de culte ont été fermé et un couvre-feu a été instauré.

Assise dans leur maison familiale, Samira, vingt et un ans, joue avec son bébé de deux ans. Cette jeune femme, licence en poche, est rentrée chez ses parents il y a tout juste quelques jours après trois années tumultueuses de vie conjugale. Dans sa nouvelle vie de célibataire, elle ressasse ses souvenirs de mariage. «Avant de me marier, je pensais que le mariage était tout sauf une prison. Qu’il y aura certes des hauts et des bas, mais jamais des coups et des injures», dit Samira.

Le rêve de la jeune mariée, s’est estompé un mois après avoir épousé celui qui était son premier amour, un amour du lycée qu’ils ont su maintenir jusqu’au mariage. Dans nos traditions, après le mariage, le couple prépare à manger pour l’amener ensuite chez leurs parents et c’est là que les problèmes ont commencé. Samira se souvient, «lorsque nous avions amené les plats chez les parents de monsieur, sa maman insista pour prendre les plats. Ne voulant pas vexer ma belle-mère, j’ai alors cédé. Ceci n’a pas plu à mon mari. De retour à la maison, il était fou furieux au point de me dire que je n’avais aucun respect pour ses parents. Je m’en étais excusée en lui promettant que ça n’allait plus recommencer.»

Au fil des jours, les choses n’ont fait qu’empirer, entre insultes et coups, Samira avance que «les moments les plus difficiles étaient pendant ma grossesse, j’avais cru qu’il serait plus indulgent avec moi, mais, c’est le moment qu’il a choisi pour porter la main sur moi. Bizarrement j’avais fini par conclure que c’était moi la fautive, surtout qu’on m’avait prévenu que pendant la grossesse, nous les femmes, nous avons des sauts d’humeurs et des envies inexplicables. J’ai donc laissé passer.» Ce dont Samira ne se doutait pas, c’est que ce coup va être le premier d’une longue série.

Les injures vont laisser place aux agressions physiques. Elle n’osait pas parler de ce qu’elle vivait, parce que c’était son choix et on risque de le lui rappeler. D’ailleurs, au Niger, on te dit que le jour de ton mariage, après la nuit de noce, l’amour s’en va. Il est alors remplacé par la patience. Mais de quelle patience parle-t-on? De cette patience où tu dois tout subir? De cette patience où tu es traitée comme un moins que rien? De cette patience où tu dois supporter et ne jamais rien dire? Est-ce cela le mariage? Je crains que non.

Au Niger, les derniers chiffres sur les violences faites aux femmes remontent à plus d’une décennie. Ils estiment que 43% des violences subies par les femmes sont physiques tandis que 28% sont sexuelles. Au stade actuel, on ignore le nombre exact de femmes qui croulent sous les coups et autres violences de la part de leurs conjoints, mais une chose est sûre: certaines mesures prises pour limiter la propagation du COVID-19 n’ont pas arrangé la situation des femmes victimes de violences conjugales. C’était le cas de Samira, qui avait à supporter le comportement de celui qui était à l’époque son mari. Elle ajoute que «auparavant, il lui arrivait de traîner dehors, c’était un moment de répit pour moi. Mais depuis l’instauration du couvre-feu, les choses n’ont fait qu’empirer. Il était à la maison à 19 heures tapantes et quand il est là c’est le chaos. J’avais comme l’impression qu’il déchargeait sur moi la frustration de ne pas pouvoir sortir.»

Si le Covid-19 impose une limitation des déplacements, Samira était déjà habituée à ces restrictions, «monsieur m’empêchait de sortir, même quand je voulais partir voir mes parents, je devais passer un interrogatoire et des questions comme; à quand remonte la dernière fois où j’étais chez eux? Qu’est-ce que je vais chercher? Bref, je n’avais plus de vie. Mon seul exutoire était mon téléphone et les réseaux sociaux. Mais là aussi, monsieur avait imposé des règles; sur Facebook et Instagram je ne devais rien publier, et sur WhatsApp, je subissais des inspections surprises.»

On dit chez nous que quelle que soit la durée de la nuit, le soleil finira par apparaître, et le soleil de Samira était apparu un soir alors qu’elle s’apprêtait à passer, comme d’habitude, des moments difficiles. «Je lisais sur Facebook le témoignage d’une dame souffrant d’un handicap à vie à la suite des coups de son époux. Ce fut un déclic, je m’étais demandé ce que j’allais devenir et que deviendrait mon enfant si jamais ça m’arrivait. Un soir pendant le mois du Ramadan, après la rupture du jeûne, j’avais fait tomber mon téléphone par mégarde. Monsieur était fou de rage en disant que je ne fais jamais attention aux choses et si je cassais mon téléphone c’était à lui de m’en acheter un autre. Ce soir j’avais eu le courage de lui dire d’arrêter de me crier dessus. C’est là que les choses ont dégénéré car il voulait me «corriger» comme il aime bien le dire.»

Ce soir-là, deux choix se présentaient à Samira; «je devais décider entre accepter de le laisser me tabasser ou me soulager de mes maux sans mots. J’ai vite fait de m’isoler dans ma chambre avec mon bébé et de fermer la porte. Je ne l’ai ouverte qu’au petit matin et il était déjà parti travailler. J’avais eu suffisamment le temps pour réfléchir et prendre une décision: vaut mieux m’en aller plutôt qu’on vienne prendre mon corps.» C’est ainsi que le lendemain matin, Samira, profitant de l’absence de son époux, fit ses valises et rentra chez elle avec son bébé tout en sachant que son entourage, que la société, son entourage n’allaient pas l’accueillir à bras ouverts.

Arrivée chez elle, les réactions fusaient de partout, elle raconte que «le seul qui m’avait compris c’était papa.» Aujourd’hui, si Samira a pu s’en aller, ce n’est pas le cas pour beaucoup de jeunes filles et de femmes qui doivent subir et qui n’ont pas encore brisé le silence. Nous devons avoir de milliers de Samira qui diront NON mais aussi une société beaucoup plus souple. Ne dit-on pas que ce qui a poussé un rat à se réfugier dans un feu est certainement plus chaud que le feu? À méditer.

 

Malika SOUNA is a blogger from Niger. She is passionate about social media and their capacity in empowering Nigerien women from urban and rural worlds throughout her blog Waymo, Quotidien de la femme nigérienne. She has a young daughter and is a women’s and girls’ rights advocate. Malika puts passion and time in listening and sharing with her community to achieve their common goals and their fulfillment.
Malika considers herself as a person with great empathy and confidence. She loves innovation and always does what she likes.
 
 

 

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