Allocution du Président de La Commission de l’Union Africaine, Moussa Faki Mahamat lors de la Trente-cinquième Conférence Ordinaire des chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Africaine
Allocution du Président de La Commission de l’Union Africaine, Moussa Faki Mahamat lors de la Trente-cinquième Conférence Ordinaire des chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Africaine
Excellence Monsieur Antoine Félix Tshisekedi Tshilombo, Président en exercice de l’Union africaine,
Excellences Messieurs les chefs d’Etat et de Gouvernement,
Excellences Mesdames et Messieurs les chefs de délégations,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Madame la Vice-présidente de la CUA,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
Nous voilà, enfin, physiquement réunis ici même au siège de notre organisation à Addis Abéba, cette ville hospitalière, foisonnante de culture, d’art et d’attraits patrimoniaux historiques et évocateurs d’une beauté jamais ternie par le temps.
Excellence Monsieur le Président Antoine Félix Tshisekedi, au moment où vous allez passer le témoin à votre successeur, permettez-moi de vous exprimer mes vifs remerciements et de vous adresser mes chaleureux compliments pour l’immense travail abattu à la tête de notre Organisation continentale toute au long de l’année écoulée.
Je salue l’excellente expérience de travail convivial, fructueux et intense que nous avons eu avec vous et sous votre leadership.
Excellence Macky Sall, Président de la République du Sénégal et Président en exercice entrant de notre union, je vous souhaite la bienvenue et formule des vœux de plein succès pour votre mandat.
Votre pragmatisme, votre sens de la méthode, votre détermination et vos ambitions pour l’Afrique soulèvent de réels espoirs que l’entreprise lancée par vos prédécesseurs connaitra une impulsion nouvelle en dépit des circonstances économiques et sanitaires difficiles. Pleins succès à votre présidence !
Excellences, Mesdames et Messieurs,
La pandémie de la Covid-19 a interpellé le genre humain au plus profond de son être et de sa conscience. Nous ne pouvons, au moment où nous nous retrouvons physiquement pour la première fois, depuis la survenance de la pandémie, échapper à notre part du questionnement, sur nous-mêmes, nos doutes, nos angoisses, nos inquiétudes pour notre organisation et pour notre Afrique. Aux deux fléaux majeurs de l’heure que sont la Covid-19 et le terrorisme à l’échelle du Continent, s’ajoutent nos intrinsèques fragilités que les deux fléaux mettent à nu.
Sur la Covid-19, le champion en la matière, le Président Cyril Ramaphosa vous présentera l’essentiel de nos efforts ces deux dernières années ainsi que les lignes directrices de notre stratégie de résistance et de triomphe futur contre la dévastatrice pandémie. Deux acteurs majeurs seront appelés à jouer un rôle prépondérant dans cette stratégie. Africa-CDC dont l’opérationnalisation est en cours. Il va occuper dans notre paysage institutionnel le statut d’une agence spécialisée dotée de l’autonomie d’action que dicte la nature de sa mission tout en restant solidement ancrée au sein de l’organisation continentale.
L’agence africaine des médicaments (AMA) se prépare à jouer sa partition dans ce combat de promotion de la santé publique, d’existence et de bien être des africains. L’acquisition des vaccins et leur fabrication en Afrique paraissent être les points d’orgue de cette stratégie.
L’impact de la Covid-19 s’est traduit par la contraction de la croissance de 2,1% en 2020 et par l’accentuation du taux d’endettement de 10 points du PIB. L’Afrique, en raison de l’insuffisance des financements externes pour compenser le faible taux de son épargne, ne pourra pas retrouver la dynamique de sa croissance d’avant la survenance de la covid-19.
Active dans la mobilisation des ressources financières en faveur du continent tant par la réduction, voire l’annulation de la dette que par la mobilisation des droits de tirage spéciaux, notre stratégie s’attachera à l’identification, voire l’invention d’autres sources innovantes de financement et de réduction des effets néfastes de la pandémie sur nos économies aux fragilités structurelles bien connues.
Notre grand défi est et demeure, en ce domaine, l’acquisition de l’autonome dans le financement de notre propre développement par une lutte énergique contre les flux illicites de capitaux, par la réforme de nos politiques fiscales et par l´accélération de la mise en œuvre des institutions financières africaines.
Sur l’expansion du terrorisme, nul n’ignore désormais que ce fléau prend, à l’échelle du continent, une ampleur inégalée. Jadis localisé dans deux zones réduites, le nord du Sahel et la corne de l’Afrique, il étend désormais ses tentacules au sud du Sahel au centre, voire aux contrées septentrionales du continent.
La situation sécuritaire du continent aujourd’hui est profondément marquée par la métastase du terrorisme et de la dangereuse résurgence des changements anticonstitutionnels. D’ailleurs les deux phénomènes établissent des liens de causalité connus de tous. L’un trouve souvent ses prétextes dans la prégnance et l’expansion de l’autre et la lutte nécessaire contre celui-ci produit l’illusion que le second est la réponse aux échecs avérés dans la lutte contre le premier.
La situation sécuritaire du Continent appelle désormais une vraie nouvelle approche qui devrait questionner notre architecture de paix et de sécurité et sa corrélation avec les nouveaux facteurs de déstabilisation de l’Afrique. En l’absence de ce sursaut d’intelligence et de décision, je me pose de sérieuses questions sur l’avenir de notre projet phare de faire taire les armes à échéance fixée. La dangereuse expansion du mal requiert une mobilisation internationale plus forte et une solidarité interafricaine plus féconde, plus concrète, plus agissante ; Il est particulièrement déconcertant de voir, ici ou là, des velléités d’engagements non africains pour soutenir les pays africains agressés alors que le rayon ténu de la solidarité africaine ne permet de voir que l’immensité de la paralysie africaine vis-à-vis des demeures voisines qui s’embrasent.
Le contexte marqué par ces deux fléaux aurait permis d’entrevoir les lueurs d’espoir si le monde n’était pas celui où les égoïsmes nationaux, le repli sur soi et l’affaissement des valeurs de solidarité et de générosité fruits de notre commune humanité se ternissent à vue d’œil. La profonde et irrécusable vérité pourtant est qu’aucun pan de la société internationale ne saurait être rassuré sur son sort alors que tous les autres pans ne le seraient point. La crise du multilatéralisme est là, réelle et prégnante.
A l’évidence, les tentatives d’approche de l’Afrique sont multiples et cela dénote sans doute un intérêt accru pour le continent mais cet intérêt ne s’est pas encore franchement traduit par une considération développementaliste substantielle en faveur de l’Afrique. L’idée, un temps miroité d’un plan Marshal en faveur du continent s’est peu à peu envolé. Je ne suis pas loin de penser intensément qu’un tel plan pourtant nécessaire, ne viendra jamais de l’extérieur. Ici, plus que jamais, le leadership africain est interpellé avec force pour un sursaut de mobilisation des ressources endogènes que révèle l’immense potentiel du continent. Il n’y a point de salut que dans cette direction africaine pour l’Afrique.
Excellences,
Mesdames Messieurs,
Le contexte passablement dépeint à grands traits est pourtant le cadre dans lequel nous avons, avec le soutien de la plupart parmi vous, pu nous déployer en faisant, au mieux que nous avons pu, usage des atouts dont nous disposons. Le redéploiement dans un tel contexte nous a permis de mettre le doigt sur des zones de douleurs que j’ai jugées utile de vous exposer sans détours, sans fard. Ce faisant, je fais confiance à votre sagesse, a votre sagacité et à vos immenses expériences pour m’écouter là-dessus, et prendre les décisions idoines, celles que tous les acteurs du continent espèrent que vous prendriez.
Au premier plan des contraintes vécues se situent les limites juridiques et politiques. Nous avons, certes, lancé la réforme institutionnelle de notre organisation. Elle a permis des progrès significatifs sur la voie de l’amélioration de notre gestion et efficacité internes. C’est le lieu de rendre un hommage mérité au président Paul Kagamé qui en a été le champion et l’architecte en même temps qu’aux hommes et femmes, dont le chef de l’Unité de réforme, qui l’ont épaulé dans cette entreprise.
En dépit de ces progrès incontestables, la réforme est restée silencieuse sur la situation de fragilité juridique notoire de la Commission et de son Président. Les pouvoirs et compétences de ceux-ci sont restés identiques à ceux d’avant la réforme. En quoi de tels pouvoirs et compétences sont -ils réducteurs du rôle de leadership de la Commission ?
Deux questions majeures contraignent la Commission à un rôle somme toute assez modeste dans le processus décisionnel africain. Le premier est la lecture réductrice du concept de subsidiarité. Nous avons, assurément, besoin de mieux clarifier les rapports de subsidiarité et de complémentarité entre les communautés économiques régionales et l’organisation continentale. Delà, cependant à déclarer, ici ou là, que la décision d’un organe de l’UA, en l’occurrence le Conseil de Paix et de Sécurité sur le Mali, devrait être suspensive des décisions d’une organisation régionale, à savoir la CEDEAO, il y a vraiment un grand écart. Il est important que notre Sommet apporte ici les clarifications nécessaires pour éviter toute dérive préjudiciable au fonctionnement de notre architecture politique et de sécurité.
Le second problème à considérer est la question de souveraineté des Etats. Celle-ci est un paravent protecteur de toutes sortes de dérives survenant dans un pays membre. Une lecture restrictive, voire dogmatique du principe intangible de la souveraineté des États membres élève un mur d’airain contre toute intervention de l’organisation continentale, soit à titre préventif à travers l’alerte précoce, soit à titre curatif lorsque la crise éclate. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions de voir la commission traitée ici ou là comme un simple secrétariat des Etats.
Le souverainisme n’est pas propre à notre organisation. Je le sais. Toutes les organisations internationales ou régionales y font face, mais sa force et les lectures restrictives dont il fait l’objet à l’UA demeurent excessives et sont préjudiciables à la pleine capacité d’initiative et d’action de l’organisation.
Ce double handicap n’a pas été étranger à la conduite de la commission face aux changements non constitutionnels dont une funeste vague a déferlé ces derniers temps, et pas seulement en Afrique de l’Ouest.
Il était pourtant très clair que de telles situations étaient presque inévitables si un certain nombre de mesures et d’initiatives politiques n’étaient pas entreprises avec la célérité souhaitable. La subsidiarité et la souveraineté des Etats rendaient impossibles toute action anticipative de la Commission. Il ne peut résulter de cette situation qu’un sommeil progressif du rôle de leader de l’organisation au plan politique et diplomatique.
En ce Vingtième Anniversaire de l’Union africaine, jour de renaissance, de remembrance, de bilan, de méditation et de projection dans le futur. J’en appelle à davantage d’inventivité et d’esprit créateur pour redonner à l’organe opérationnel de notre union plus de possibilité d’action et d’influence sur le devenir politique de nos Etats, notamment lorsque ceux-ci sont en réel besoin de sollicitude. Dans cet effort de réveil de l’organisation à travers une réflexion inventive des meilleurs modes et modèles, comment ne pas s’interroger sur nos systèmes démocratiques et de notre architecture de paix et de sécurité ? Ceux-ci ont-ils pu promouvoir les fonctionnements assurant le minimum de bonne gouvernance, de combat de la corruption, du népotisme, de la gabegie, de l’exclusion ? ont -ils permis de réaliser notre rêve d’une Afrique où les armes se sont tues ? Avons-nous suffisamment été déterminés à réformer notre Conseil de paix et de sécurité ? Avons-nous mobilisé suffisamment d’efforts en perspective de la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies en ouvrant, le moment venu, un couloir crédible à l’entrée de l’Afrique dans cet organe en charge de la paix dans le monde ? En un mot, nos modèles ont-ils permis de répondre aux attentes de centaines de millions de jeunes et de femmes africaines échaudées par les turpitudes insupportables des classes politiques à l’efficacité et aux valeurs éthiques en continuel affaissement ? En d’autres termes, ont-ils permis d’élever les digues nécessaires au populisme facile qui fait le lit des coups d’Etat et des rebellions ? Il y a assurément, ici, un vaste champ d’interrogations dont il n’est plus permis de différer l’examen perspicace, courageuse et innovant.
Dans la constellation des contraintes politiques, comment ne pas déplorer les insuffisances dans l’application du double principe de parler d’une seule voix et de la solution des problèmes africains par les africains ? On se demande, dans de nombreux cas de figure, à quoi servent nos décisions dans cette sphère et dans bien d’autres. Dans combien de situations nous avons été amenés au constat amer et, parfois plus humiliant qu’embarrassant, du déficit de l’impérieuse nécessité de parler d’une seule voix sur nos propres problèmes et sur ceux qui nous rassemblent avec nos partenaires internationaux ?
Excellences mesdames messieurs, ne m’en voulez pas d’avoir peut-être abusé de votre temps si précieux. Ma compréhension de mon devoir et des responsabilités dont vous m’avez fait l’honneur de la charge, me dicte l’obligation de vous parler toujours avec franchise et sincérité tout en me remettant, en définitive, à votre suprême sagesse.
Bien sûr, notre ordre du jour inscrit à son agenda une série de questions sur lesquelles je reviendrais en temps opportun. La question palestinienne et l’octroi du statut d’observateur à l’État d’Israël, est de ces questions spécifiques. Je voudrais, juste à ce stade, insister sur deux aspects. Le premier est la nécessité, pour un débat serein, loin de toutes recherches d’instrumentalisation de la question à des fins politiques, bien prendre conscience, de façon claire et nette du rapport entre l’immuable position de l’Union africaine sur la cause du peuple palestinien et la reconnaissance d’un statut d’observateur à Israël. Notre attachement au soutien du peuple palestinien dans sa quête légitime de liberté et d’indépendance et son droit inaliénable à la création de son propre Etat national à côté de l’État d’Israël conformément aux décisions pertinentes de l’UA et des Nations unies basées sur le principe de deux Etats cohabitant en paix, harmonie et respect mutuel, est immuable et ne saurait que continuer à se renforcer.
Le second aspect est mon intime conviction que le statut d’observateur accordé à Israël, en totale conformité aux critères de Syrte, qui régissent la matière, permet de redonner à notre organisation plus de latitude et de possibilité de jouer son rôle dans la promotion de nos décisions sur la question, exactement à l’image de pays afro-arabes, qui ont fait de la reconnaissance d’Israël un instrument au service de la paix et de la recherche des voies et moyens les meilleurs pour la consécration du principe des deux états palestinien et israélien, vivant en parfaite harmonie.
La seconde question spécifique porte sur nos partenariats. La multiplication de ces partenariats, signe d’intérêt pour l’Afrique et de dynamisme de notre continent et de son organisation, ne permet plus de s’y engager sans une réelle visitation de nos approches de tels partenariats.
C’est un impératif que de les centrer sur des projets concrets, transformateurs et intégrateurs dans les cinq domaines prioritaires que sont la paix et la sécurité, les infrastructures et l’énergie, les changements climatiques, les financements innovants du développement, la formation des jeunes et l’autonomisation des femmes.
Ces projets, en cours de mise en œuvre, requièrent la mobilisation des ressources financières conséquentes pour réussir les transformations structurelles de nos économies. C´est la seule voie pour réaliser une croissance inclusive et durable capable d’amortir l’impact des chocs tels que les crises financières, les effets des changements climatiques et des pandémies.
J’espère que les sommets que nous envisageons cette année avec nos partenaires soient des moments décisifs pour la mise en œuvre de notre vision en matière du partenariat international de l’Afrique avec le reste du monde. Une telle redéfinition de nos partenariats stratégique constitue, à mes yeux, un levier décisif du rôle de l’Afrique dans le dessein d’un nouvel ordre mondial en harmonie avec nos espérances.
Je vous remercie.
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